Les trésors oubliés de Shanghai

Le week-end dernier, notre résidence avait organisé un petit tour dans les recoins oubliés de Shanghai. J’y ai découvert tout un pan de la ville dont je ne soupçonnais même pas l’existence, alors que j’y réside depuis de nombreuses années déjà ! Le tour était d’autant plus intéressant que notre guide, Janny, maîtrisait son sujet, et nous a parfaitement expliqué l’histoire mouvementée des endroits visités.

Laissez-moi vous guider à travers les vieilles ruelles de Shanghai, à la découverte de ses secrets.

Le vieux ginkgo biloba

Ginkgo biloba

La visite a commencé au pied d’un vieux ginkgo biloba, situé en plein coeur de la vieille ville de Shanghai. Âgé de plus de 700 ans, il s’agit probablement de l’une des pièces les plus vieilles de la ville ! Il aurait ainsi survécu à plusieurs révolutions, guerres, feux, etc. On a là encore une preuve de l’extrême résistance de ces arbres.

Les vieux arbres étant extrêmement vénérés en Chine, les gens venaient autrefois brûler de l’encens dans son tronc, devenu creux après s’être pris une fois la foudre. Malheureusement, feu et bois font mauvais ménage, d’autant plus que l’arbre est situé en plein cœur de la vieille ville, bâtie majoritairement en bois (la maison qu’on voit juste derrière l’arbre par exemple est ainsi faite de bois). La moindre étincelle, et tout risquait de prendre feu ! Ainsi, il y a quelques années, la mairie de Shanghai a décidé de prendre les choses en main et à dégagé l’espace autour de l’arbre, puis mis des barrières tout autour, afin de tenter de dissuader les gens de venir y brûler de l’encens. Cela n’a pas empêché les gens de venir, on retrouve aujourd’hui encore des traces de cendre tout autour de la barrière, mais on peut au moins espérer que l’arbre ne prendra pas feu directement. Malgré son vieil âge et la nature qui ne semble pas avoir été tendre avec lui, il semble cependant encore en pleine forme aujourd’hui, même s’il a besoin d’un peu de soutient pour se maintenir.

La tour de surveillance anti-incendie

A propos de feu, on peut voir s’élever au milieu de la vieille ville une tour qui peut sembler déplacée ici. Il s’agit en fait de l’ancien système d’alerte pour les incendies, utilisée au début du XXe siècle. De là haut, les gens pouvaient surveiller les débuts d’un feu, alerter les voisins et les pompiers, et les diriger au bon endroit. Étant donné la densité des habitations et leurs matériaux inflammables, éteindre l’incendie dès ses débuts était crucial si l’on ne voulait pas voir la ville partir en fumée.

Tour anti-incendie

La rue de la famille Qiao

Nous nous dirigeons ensuite vers la rue de la famille Qiao, qui fût l’une des familles les plus riches de Shanghai.

Sous la dynastie Ming, Qiao Yiqi passa les examens militaires nationaux, où il finit premier, et devint par la suite un grand général et le meilleur guerrier de Chine, mais est aussi connu pour ses poèmes et peintures. Malheureusement, il perdit la bataille face aux envahisseurs Jing, et se suicida afin de protester contre l’invasion. Suite à ses exploits militaire et sa loyauté au royaume, ses descendants furent tous fait gouverneurs de Shanghai. On peut encore voir aujourd’hui l’ancien complexe où résidait sa famille, aujourd’hui divisé et habité par une multitude de familles.

Je n’ai pas de photos de cette maison, mais d’autres résidences de célébrités ayant habité dans la même rue.

La maison de la famille YuMaison des Yu

Dans la rue de la famille Qiao se trouve aussi l’ancienne maison de la famille Yu. Yu était un riche marchand de la fin de la dynastie Qing. Lors de la révolte des Taiping, il les soutint en leur reversant de fortes sommes d’argent. Malheureusement, cela se retourna contre lui lorsque la rébellion fût écrasée, et il dût faire amende honorable auprès du gouvernement impérial. Pour cela, il paya entièrement la restauration des murs de Shanghai, ce qui lui valut le surnom de « propriétaire de Shanghai ». Extrêmement riche mais aussi soucieux des défis de son temps, il subventionna de nombreux étudiants chinois partis étudiés à l’étranger, bien plus que réclamé par la ville.

Aujourd’hui, nous pouvons encore voir l’entrée de son ancienne maison, là encore divisée après la révolution communiste, et habitée aujourd’hui par plusieurs familles, toutes entassées les unes sur les autres.

La maison de Wang Yiting

 Wang Yiting est lui aussi un riche commerçant de la fin de la dynastie Qing. Il débuta tout en bas de l’échelle sociale, pour la gravir peu à peu et finir par faire partie des personnes les plus influentes de Shanghai. Il était aussi un calligraphe et peintre réputé. De nombreuses personnes connues, telles qu’Einstein, furent allés lui rendre visite dans cette maison.

Après le grand tremblement de terre du Kanto, Wang Yiting envoyé beaucoup de nourriture, d’argent et d’aide au Japon. Le bateau qu’il affréta fût le premier à arriver sur place. En remerciement, l’empereur envoya par la suite ses meilleurs architectes pour lui construire un toit japonais (estimé comme le meilleur au monde) sur sa maison construite dans un style entièrement occidental.

Malheureusement pour lui, bientôt, il ne fera plus bon de bien s’entendre avec les japonais. Ainsi, lorsque le Japon entra en guerre contre la Chine, renié par ses compatriotes chinois, il préféra s’exiler à Hong Kong plutôt que de travailler pour les japonais. Il y devint moine et y mourut à peine quelques années plus tard, incompris de tous.

Maison de Wang YitingMaison de Wang YitingLa encore, vous remarquerez que par manque de place, les familles qui y habitent depuis la révolution ont essayé d’en gagner un maximum, jusqu’à bricoler des pièces sur les balcons.

La ruelle du pharmacienTemple du dieu des médicaments

Un peu plus loin se trouve la ruelle du pharmacien, qui s’appelle ainsi car autrefois s’y trouvait un grand temple dédié au dieu des médicaments. Malheureusement, il n’en reste plus rien aujourd’hui, si ce n’est une pierre sculptée encastrée dans le magnifique mur rose d’une maison. Cette pierre et sa jumelle (aujourd’hui disparue), marquaient à l’époque l’entrée du temple. Aujourd’hui, on ne peut qu’imaginer l’ampleur qu’il avait pu avoir à l’époque.

La ruelle de la lumière céleste

Nous arrivons juste après sur la ruelle de la lumière céleste. Elle tient son nom du fait qu’elle est située juste à côté des anciens bâtiments de l’administration locale, sur le trajet des câbles électriques, et fût donc l’une des premières à avoir l’électricité à Shanghai. Aujourd’hui, un enchevêtrement de câbles électriques recouvre Shanghai, et ce n’est pas ce qui fait l’intérêt de la rue. Par contre, entre le linge qui pend, et sous la peinture écaillée des murs, on peut retrouver de vieux amis. Les reconnaîtrez-vous ?

Sur les murs de ShanghaiSur les murs de ShanghaiLa bibliothèque perdue

Nous arrivons maintenant au clou de la visite, une immense résidence cachée derrière de hauts murs, au milieu d’un labyrinthe de petites ruelles, un vrai bijou, mais malheureusement dans un état de délabrement avancé qui fait mal au cœur.

Secluded LibraryIl s’agit de l’ancienne résidence du responsable des examens impériaux de Shanghai, construite au XVIe siècle. Il possédait une bibliothèque faramineuse, d’où le nom du lieu. J’ai déjà parlé au début de ce billet des incendies qui pouvaient ravager la ville. Or, les livres étaient des objets extrêmement précieux (je parle de livres, mais à l’époque, il s’agissait surtout de tiges de bambous attachées entre elles, et qu’on roulait ensuite pour former un rouleau), mais malheureusement très inflammables. Ainsi, tout un système anti-incendie était mis en place.

Tout d’abord, vous remarquerez l’immense mur sur la photo précédente. Toute la résidence était entourée de ces murs hauts de 12m, afin de protéger les livres si un feu se déclarait en ville. Évidemment, la cuisine était située à l’extérieure des murs. Les portes percées dans ces murs étaient recouvertes de pierre sur l’extérieur, là encore pour servir de coupe feu. Et un peu partout dans les différentes cours, se trouvent d’immenses jarres remplies d’eau, afin d’éteindre le plus vite possible tout début d’incendie.

La maison fût rachetée au début du XXe siècle par la famille Guo, de riches commerçants du Fujian. Mais durant la révolution culturelle, une usine de jouet et une de métal vinrent s’y installer, cantonnant les Guo à un recoin de leur immense demeure. L’installation de ces usines et l’arrivée des ouvriers peu cultivés ne se fît pas sans dégâts.

L’un des exemple est ce qui arriva aux briques d’or de la famille. Les briques d’or (金砖 –  jinzhuan) sont en fait des briques façonnées à partir d’un argile particulier et selon un procédé spécial (leur production nécessitait plus de 130 jours rien que pour la cuisson, et seules 5 pouvaient être produites chaque jour, imaginez donc leur rareté), réservé à l’usage impérial. Parfois, pour remercier ses sujets, l’empereur pouvait en offrir à ceux qui se distinguaient. Elles furent donc surnommées briques d’or à cause de l’importance de leur signification, et pour leur prix extrêmement élevé, qui valait au moins celui de l’or. La famille Guo en possédait deux (ce qui est significatif de l’importance de cette famille). Les ouvriers, quand ils découvrirent ces briques, se sont dit qu’elles devaient être faites d’or, et ont commencé à détruire la première. Se rendant compte qu’ils avaient tout faux, ils n’ont heureusement pas touché à la seconde. On peut voir ci-dessous l’inscription impériale quasiment effacée sur la première brique, mais encore en très bon état sur la seconde.

Golden brickGolden BrickHeureusement, pas tout n’a subit le même traitement que cette brique, et certains détails ont survécu, témoignant de l’opulence passée de cette demeure.

Secluded LibrarySecluded LibraryCertains éléments furent sauvés par l’ancien propriétaire des lieux, qui espérait toujours voir déménager les usines et restaurer cette résidence. Ainsi, tous les panneaux de portes et fenêtres étaient sensées être brulées pour produire de l’énergie, mais le propriétaire déclara que pour cela, il faudrait le brûler d’abord. Ils furent donc mis de côté afin de ne pas gêner le travail, mais sont toujours là. Ils attendent des jours meilleurs, entassés dans les anciens halls de la résidence. En effet, le père de la propriétaire actuelle est architecte, et est connu pour avoir restauré le jardin Yu. Malheureusement, ils n’ont pas les fonds nécessaire afin de restaurer leur maison familiale.

Secluded LibraryAu milieu de toutes ces reliques d’une gloire passée sont éparpillés quelques objets beaucoup plus prosaïques, témoins du passé plus proche de ce lieu, tels que des casques d’ouvriers, une vieille télévision, quelques jouets fabriqués lorsque l’usine fonctionnait encore, ou encore des consignes de sécurité destinées aux ouvriers.

Secluded LibrarySecluded LibrarySecluded LibraryJ’espère vraiment que cet endroit pourra être restauré, il s’agit vraiment d’un superbe exemple d’architecture traditionnel chinois, avec une histoire très riche et intéressante.

Et pour finir, une photo du traditionnel 福 – fu qu’on retrouve dans plein de maison chinoise, en espérant que celle-ci retrouve sa bonne fortune passée !

Secluded Library

13 thoughts on “Les trésors oubliés de Shanghai

    • Malheureusement, c’est une situation qu’on retrouve bien trop souvent en Chine. Le passé est complètement oublié, et les rares choses qui restent ne sont bien souvent qu’une mise en scène.
      Je suis sure que tous les jours, je passe à côté d’autres lieux tels que ceux-ci, et je ne m’en doute même pas.

  1. Je t’ai suivie dans ta très intéressante balade. Ce serais génial que les chinois restaurent leur passé au lieu de produire de l’éphémère. Bon mardi bises

    • Ce serait bien effectivement s’ils restauraient leur passé. Ca serait encore mieux s’ils le faisaient correctement. En effet, pour eux, restaurer signifier malheureusement bien trop souvent raser et reconstruire. Bref, c’est un peu Charybde et Sylla. D’un côté, laisser se décomposer de superbes souvenirs, et de l’autre, les refaires tels que ça les arrange et sans trop de fidélité avec l’original.
      Le pire dans le cas de la maison des Guo, c’est qu’apparemment des Danois étaient prêts à entreprendre le travail de restauration, mais le gouvernement chinois a refusé car il leur était impensable que ce soit des étrangers qui s’occupent de leur patrimoine.

  2. Pingback: Les drapeaux de Shanghai » Le Repaire de la Renarde

  3. J’adore tes photos…j’ai l’impression d’être une petite souris et de regarder par petit trou de la valise!! L’histoire du Gingko centenaires est vraiment touchant. J’adore voir ce type d’arbre vénérable au milieu de la ville. D’ailleurs je trouve que certaines maisons (ou bâtiments) sont vraiment jolis, ça a vraiment du charme, il y a là de la vie dans chaque petit détail…Incroyable aussi la bibliothèque…tu sais que chez moi j’ai le livre « Paris insolite »…peut être qu’il y a matière à faire de même avec Shanghai ? ^^ Bisous!

    • Merci !
      Les chinois (tous commes les japonais je supposent) aiment les vieux arbres. On en voit assez souvent, un peu partout en Chine. Et je les trouve toujours impressionnant. Moi aussi, j’aime beaucoup les voir.
      Il y a beacoup de très belles maisons à Shanghai, car c’est une ville qui fût à une époque une grand centre financier et commercial, et qui a donc accueilli beaucoup de riches commerçants. Par contre, à cause de la révolution communiste, beaucoup de ces superbes demeures sont dans des états lamentables, même si on commence à apercevoir des travaux de restauration (malheureusement pas toujours correctement effectués).
      Je ne connais pas le livre « Paris insolite », mais je connais quelques guides de Shanghai atypique, et qui sont très interessants. Mais il s’agit tout de même d’une ville qui a une moins longue histoire que Paris, et surtout, qui conserve beaucoup moins bien son patrimoine…

  4. Un article vraiment original sur Shanghai, ça fait du bien de lire et d’apprendre des choses sur certains petits endroits de la ville dont je n’avais même pas connaissance! merci pour ces jolies découvertes!

    • En ce qui me concerne, ça fait 5 ans que j’habite à Shanghai, et j’en découvre encore tous les jours. Je suis ravie de pouvoir partager ces découvertes !

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